Chez Lucien, il y a le temps qui passe pas pareil qu'ailleurs, chez Lucien, il y a du réconfort, c'est pas comme dehors... Chez Lucien, tous les soirs, il y a l'ancien qui passe, d'année en année il se ride, sa vue baisse, il se tasse. Il a toujours son vieux béret et ses trois médailles, parce que l'ancien il a vécu des batailles, il a même reçu une balle, sauvé un peu son pays... mais aujourd'hui qui s'en souvient ? Maintenant, tout va trop vite... il est fatigué l'ancien ! Il dit tout le temps que ce siècle n'est plus le sien. Un par un tous ceux qui savaient se sont éteints, et lui, le bon Dieu l'a laissé ici tout seul, sa douce, elle est au ciel et les enfants c'est rare qu'ils appellent. Il n'y a que chez Lucien que l'ancien se sent tranquille dans la grande ville parce qu'ici personne ne le bouscule, ici on le respecte : il est « l'ancien », certes mais pas « l'ancêtre ». L'ancien est sobre, il prend toujours un demi, pas plus pas moins, il a ses petites manies, ses petites habitudes, et les yeux tout mouillés quand il parle du passé... Il est comme ça l'ancien. Chez Lucien, il y a René, le matin c'est souvent le premier. Des fois il arrive pile à l'ouverture... mais déjà il t**ube. « Une verre de blanc et un pastis, René, comme d'habitude ? » Ici en tout cas on ne lui dit pas qu'il pue, parce que monsieur Lucien, au moins lui il sait que René a pas toujours été comme ça, il sait pour l'enfance... le paternel... et sa violence. Monsieur Lucien il voyait les efforts... René avait essayé, même si madame a plus supporté... Lucien a souvent consolé, il était là quand elle a fait ses valises avec les enfants, et puis... plus rien. René les petits verres, il a toujours un peu trop aimé, et ce jour là il a décidé de se laisser aller. Et depuis, il sait pas toujours souvent où il couche, c'est rare quand il se douche, mais il a son coin chez Lucien. Chez Monsieur Lucien, René fait pas d'esclandre, parce que, quand Lucien dit : « tiens, v'là René », ça lui fait du bien parce que René c'est son prénom, et il y a encore quelqu'un qui s'en souvient...Chez Lucien, tous les jours sauf dimanche il y a ... Lucien. Son réveil sonne à sept heures, il ouvre à huit, même quand il n'y a personne. Ici les choses elles changent pas, c'est marrant : les clients, la décoration, les verres même si ils sont plus très transparents. Autrefois chez Lucien, c'était foot certains soirs et fléchettes le samedi...